La transformation numérique de l’économie va-t-elle créer une crise sociale ?

La transformation numérique de l’économie va-t-elle créer une crise sociale ?

Vascoo-UP

3/6: Et si l’emploi n’était pas lié à la productivité mais à l’investissement ?

Cet article vient prendre le contre-pied des deux notes précédemment publiés sur ce blog (Les créations d’emplois seront-elles aussi nombreuses que les destructions : le paradoxe de Solow ? et Quels sont les emplois perdus et ceux créés par la transformation numérique de l’économie ?) et qui centrent la question de la crise sociale autour des gains de productivité induits par le numérique.

Schumpeter contre Solow

Aujourd’hui, les débats sur la destruction, ou pas, du volume de l’emploi avec la transformation numérique opposent optimistes et pessimistes.

Les optimistes sont ceux qui prédisent une destruction créatrice d’emploi à somme positive. Selon eux, les progrès technologiques, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle, transformeraient le travail, mais ne le détruirait pas. A les en croire, l’interaction humain-machine va créer de nouvelles catégories de métiers qui émergeront en parallèle des avancées technologiques.

Les pessimistes sont les annonciateurs de la fin du paradoxe de Solow. Leur schéma est tout tracé : la productivité va enfin rattraper les investissements consentis sur l’innovation technologique. A les écouter, la hausse tant attendue de la productivité globale ne laissera pas de place pour toutes les forces productives, et les humains seront les travailleurs qui en pâtiront.

Dans tous les cas, optimistes et pessimistes semblent s’accorder sur un fait : croissance et taux d’emploi sont inévitablement dépendants de la corrélation fondamentale entre deux facteurs interdépendants : d’une part l’innovation technologique, d’autre part la productivité.

L’investissement comme clef de la productivité

Mais arrêtons-nous un moment sur cette corrélation. Est-ce vraiment celle à retenir ? C’est en tout cas la question que l’on peut se poser en lisant le récent entretien de Alan Greenspan à la revue Gold Investor[1]. L’ancien gouverneur de la Banque Centrale Américaine y déclare en effet que : « c’est l’affaiblissement de l’investissement global qui a empêché l’augmentation de la production par heure » [2].

Il n’est plus question ici d’innovation technologique pour expliquer la productivité, mais d’investissement global. C’est une disruption dans le dialogue entre partisans de Schumpeter et tenants de Solow. Nul besoin de futurologie, adieu prédictions hasardeuses sur les avancées technologiques et leurs impacts. Nous en revenons aux fondamentaux.

La productivité du travail est calculée selon le ratio VA / nbre d’heures travaillées, soit pour les chiffres par pays de l’OCDE = PIB / heure travaillée. A nombre de travailleurs constant, une hausse de l’investissement entraîne une hausse du numérateur PIB et donc, mécaniquement, de la productivité.

La productivité des outils répond au ratio VA / immobilisations brutes productives. A outils de production constants, une hausse de l’investissement entraîne donc mécaniquement une hausse de la productivité.

Au niveau macro-économique comme au niveau de chaque entreprise, reste à affecter les investissements. Des investissements dans l’emploi augmenteront le dénominateur « heures travaillées », et viendront faire baisser la productivité du travail. De même, une hausse des investissements dans les nouvelles technologies viendra faire baisser la productivité des équipements productifs.

Dépasser la mesure de la productivité

Et l’on voit que la mesure de la productivité, qu’elle soit humaine ou technologique, n’est ici pas très concluante pour opérer des choix stratégiques. Plus on investira, plus la productivité augmentera. Plus on investira dans les outils numériques, plus leur mesure de productivité baissera. Plus on investira dans le travail, plus sa valeur productive baissera.

Que faire de ce constat ? Il en va de même à l’échelle d’une économie, d’un marché, d’une entreprise. Investir, en tout premier lieu. Et faire des choix stratégiques, non pas basés sur une hypothétique hausse ou baisse de la productivité, mais selon des question plus immédiates et concrètes :

  • Combien puis-je investir ?
  • Suis-je prêt à investir, et à quel degré de risque ?
  • Quelle est mon but, et quelle stratégie pour l’atteindre?
  • Quel levier est le plus adapté pour appliquer ma stratégie ? Homme ou machine ?

Les réponses ne sont ni évidentes, ni systématiques. Mais elles sont beaucoup plus intéressantes que des prédictions sur un imaginaire autour de la technologie à venir.

Hubert Bastide
Consultant

[1] Gold Investor, Feb 2017. https://www.gold.org/download/file/5497/Gold_Investor_February_2017.pdf
[2] P.11 : « It is the lessened investment that has suppressed the growth in output per hour globally »